Témoignage du collectif 8 juillet au procès des supporters bastiais

Je suis membre du collectif 8 juillet.

Le soir du 8 juillet 2009, à Montreuil, suite à l’expulsion le matin même d’un lieu occupé, la police a tiré au flash-ball sur ceux qui s’étaient rassemblés pour protester contre cette expulsion. Trois policiers ont tiré 6 balles de défense, 6 d’entre nous ont été blessés. Nous avons été touchés , à la jambe, à l’épaule, à la clavicule, à la nuque, au front. Joachim, lui, a perdu un œil.

Dans notre histoire, des années plus tard, la procureure avait requis le renvoi devant la cour d’assises du policier qui avait mutilé Joachim et un non-lieu pour les deux autres policiers tireurs.

Le soir du 8 juillet, ce soir là, chacun de nous aurait pu être mutilé – tout comme les gens qui sont là, en face de vous et accusés aujourd’hui – et nous avons dû batailler pour que la juge d’instruction renvoie finalement les trois policiers tireurs devant le tribunal correctionnel.

En novembre 2016 ce tribunal a condamné ces trois policiers et affirmait ainsi leur culpabilité, l’illégitimité de leurs tirs, et leurs mensonges.

Pourtant, si aujourd’hui, après sept ans et demi de bataille collective et judiciaire, justice semble avoir été rendue, revenons au départ, aux jours qui ont suivi le 8 juillet 2009, au jour où nous avons été pourchassés, terrorisés, menacés, blessés, mutilés.

Dans ces jours qui suivent, comme dans toutes les histoires où des personnes dénoncent les violences policières qu’elles ont subies, c’était nous qui étions sur le banc des accusés.

C’était nous les manifestants dangereux dans les communiqués de la préfecture et les journaux,

nous les lanceurs de pluie de projectiles dans les nombreuses dépositions concertées des policiers,

nous les méchants squatteurs et destructeurs de DAB dans la plainte qui a conduit à inculper une des personnes présentes ce soir-là.

Et, comme dans tant d’histoires, l’origine de la blessure de Joachim et des autres blessés a été mise en cause :

ça ne serait pas un flash-ball,

peut être un projectile lancé par un de nos camarades,

peut être un coup,

peut être… quoi ?

Mais comme dans peu d’histoires,

tout a été démonté.

Le soir même, une manifestante blessée au flash-ball à la jambe, arrêtée, et accusée de violence contre agent, a été relâchée… sans poursuite.

La personne accusée de destruction de DAB a été relaxée, mettant en évidence le fait que que le policier qui l’avait formellement identifié, au moment de l’interpellation, dans ses dépositions et lors de la confrontation, avait menti.

La pluie de projectile a été contredite par les nombreux témoignages des riverains interrogés par l’IGPN.

Les blessures ont fini par être attribuées à des flash-ball et lors du procès ce sont des commissariats entiers qui ont dû faire face à leurs mensonges et à leurs fausses déclarations.

Mais pendant tout le temps qui a précédé ce procès, nous étions une bande de gauchistes qui avait bien mérité ces coups, selon la bonne logique « ma chère madame, mon cher monsieur, la police ne tire pas sans raison ! ». et si on veut aller jusque dans les menus détails où ce retourtenement de la culpabilté se joue, on peut raconter ici comment la CIVI (Commission d’indemnisation des victimes d’infraction), censée indemniser les victimes même s’il n’y a pas de procès ou avant même un procès, a refusé à deux reprises d’indemniser Joachim selon cette même bonne logique « si vous êtes victimes de violences policères c’est que vous l’avez bien cherché, quelque part »

Heureusement durant toutes ces années, nous avons rencontré de nombreuses personnes blessées, mutilées ou ayant perdu un proche tué par la police et nous avons partagé expériences et combats. Aujourd’hui Christian Tidjani, le père de Geoffrey grièvement blessé en 2010 est présent dans cette salle, tout comme Florent Castineira éborgné en 2012.

Et, si nous sommes dans ce tribunal, c’est pour rappeler que dans l’affaire qui nous concerne aujourd’hui, un jeune homme a été éborgné par un tir de lanceur de balle de défense. Et que comme d’usage, ce sont les gens qui étaient avec lui ce soir-là et qui ont subi eux aussi des violences policières qui se trouvent mis en accusation.

Nos expériences partagées nous ont appris que quand les policiers se rendent coupables de violence, ils cherchent à se justifier en accusant leurs victimes à travers des procès verbaux qui travestissent les faits.

Dans tant d’affaires, ceux qui se font viser se retrouvent devant les tribunaux, sur ces bancs qui les salissent.

En 2010, toujours à Montreuil, lors du mouvement contre la réforme des retraites, Geoffrey Tidjani, lycéen, 16 ans à l’époque, a reçu un tir de flashball au visage, le blessant gravement et provoquant une cécité partielle. Le jour même des faits Geoffrey était poursuivi pour violences à l’encontre des policiers, gardé à vue et interrogé sur ces faits sur son lit d’hôpital. Cette accusation (de violences sur agents) l’a poursuivi pendant 5 ans, jusqu’au jour du procès du policier qui lui avait tiré dessus.

En 2015, lors de ce procès le policier tireur a été condamné pour violences volontaires, mais aussi pour faux et usage de faux – et on peut saluer la ténacité avec laquelle la famille de Geoffrey a porté cette plainte pour faux et usage de faux contre l’avis même de leur avocat et celui du juge d’instruction –

et c’est seulement lors de procès que Geoffrey a été enfin disculpé définitivement des violences dont on l’accusait.

Mais qu’est ce qui fait que de cette poursuite, c’est finalement lui qui, 5 ans plus tard se trouvait sur le banc des parties civiles ?

Les déclarations du policier qui l’a grièvement blessé ?

Les déclarations des autres policiers sur place ?

Les dépositions des agents recueillies après coup par l’IGPN ?

La parole même de Geoffrey ?

Non.

Avec tout cela il aurait été mis sur le banc des accusés et probablement reconnu coupable.

Ce qui l’a sauvé, ce sont des vidéos faite par des témoins ce jour-là. Particulièrement une vidéo, versée au dossier, au moment où il reçoit le tir en plein visage et où, contrairement à ce que diront tous les policiers sur place, il ne se baisse pas pour ramasser un caillou mais il est debout en train de pousser une poubelle.

Une vidéo qui prouvera que la déposition du policier qui l’a visé et blessé était fausse,

que toutes ses dépositions suivantes à l’IGPN étaient fausses,

que ses déclarations devant le tribunal correctionnel étaient fausses.

Florent Castineira, supporter de foot montpelliérain et éborgné par un tir de flash ball en 2012 pourrait vous raconter longuement le combat qu’il a dû mener pour faire ressortir du dossier d’instruction une vidéo contredisant radicalement la version policière. Présente dès le début dans le dossier d’instruction, cette vidéo – soit disant illisible – a été soigneusement mise de côté et il aura fallu quatre années, un non lieu, un appel et un changement de juge d’instruction pour que cette vidéo puisse finalement être visionnée.

Combien d’affaires comme celles-ci, où la parole d’un policier vaut plus que tout? Où la parole même d’un seul policier suffit à inculper, condamner, enfermer ? Alors qui nous écoute, nous ? Si les vidéos deviennent les seuls remparts contre ces mensonges policiers, nous filmerons sans cesse, mais qu’est ce que cela dit de la justice ? Je me permets de citer ici Christian Tidjani, le père de Geoffrey qui récemment s’adressant à des juges leur demandait : « Êtes vous certains de ne jamais avoir envoyé personne en prison sur la base de faux procès verbaux policiers ? ».

Nous ne pouvons accepter un système où l’impunité policière permet de nous condamner, nous étrangler, nous tirer dessus, nous tuer. Où chaque blessé par la police est un coupable de plus, un qui l’a bien mérité et où chaque mensonge policier est couvert, quitte à enfermer ceux qui les dénoncent – et nous exprimons ici tout notre soutien à la famille d’Adama Traoré et au collectif Vérité et Justice pour les nôtres.

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